Trente-six. C’est à peu près le nombre des types de marquages distincts que l’on peut repérer rapidement à l’aide de Google Images sur les couvertures du magazine Playboy, édition allemande de mai 2011.
Pixellisations variées, floutages, appositions de rectangles de différentes tailles et couleurs, de pastilles, d’étoiles, de logos, de motifs en forme de cœur, de spirales, etc., la panoplie des manipulations graphiques destinées à dissimuler les formes de l’actrice allemande d’origine turque Sıla Şahin [Sila Sahin] peut être consultée ici.
Si l’on se réfère maintenant aux résultats des recherches nominales sur Google, la playmate du mois de mai a pulvérisé en quelques jours les scores de celles des mois précédents de l’édition allemande du magazine:
2 110 000 pour Sila Sahin, contre 710 000 pour la playmate d’avril, 316 000 pour celle de mars, 126 000 pour celle de février. Seule la jeune femme qui figure sur la couverture de janvier fait mieux (2 840 000) mais elle est aussi présente sur d’autres éditions de Playboy.
Autre indice du succès: des versions de l’édition de mai diffusée rapidement sur WorldMags sont apparues immédiatement sur les services d’hébergement et torrents.
Le coup est donc réussi à la fois pour le magazine et pour l’actrice dont le nom était il y a peu pratiquement inconnu en dehors de l’Allemagne. Accompagné par une interview vaguement progressiste où la jeune femme se compare à Che Guevara [sic], le buzz est évidemment alimenté par ce “scoop” repris par tous les articles: Sila Sahin serait la première femme musulmane à poser nue pour Playboy.
L’information concernant la confession de l’intéressée a été très largement commentée ailleurs, par exemple sur le site du très sérieux Time.
La typologie des marquages esquissée ci-dessus ne représente certainement qu’une partie des censures effectuées sur ces photos de Playboy. Et pour chaque type de marquage, de nombreuses images semblables ou identiques peuvent être assez facilement retrouvées. L’une des caractéristiques notables du buzz actuellement observé semble bien être la proportion relativement grande de ces photos censurées, bien plus importante en tout cas que pour les autres playmates qui figurent dans les éditions précédentes du magazine.
Plusieurs de ces images édulcorées ont été publiées sur des sites ou blogs écrits en arabe, turc, malais ou indonésien. On observera tout de même que des médias occidentaux comme le site du Daily Mail ont également publié des photos pixellisées. Il est clair que c’est bien la nationalité d’origine et la confession affichée de Sila Sahin (elle se déclare pratiquante) qui sont à l’origine de la reprise de ces images modifiées par ces canaux. Pour beaucoup en effet, ces blogs et sites ne sont pas coutumiers de la publication de photos de jeunes femmes dénudées.
Compte tenu du nombre de blogs et médias plus faible dans le monde arabo-musulmans par rapport aux pays occidentaux, cela montre que cette (petite) histoire d’images légères n’est pas si anodine qu’il y paraît. Bien que ces indications ne peuvent être tenues pour de véritables démonstrations, cette représentation d’une femme turque dans un magazine de charme intéresse les internautes des pays musulmans.
Les concepteurs et diffuseurs de ces photos censurées ne sont certainement pas naïfs. Ils savent évidemment que leurs créations et signalements participent aussi à la circulation des images dans leurs versions originales. Comme chacun sait en effet, Google indexe uniquement le contexte textuel de publication des images. Même en partant d’un “site pudibond” présentant une image très altérée, il est facile en quelques clics, à partir de la fonctionnalité Similar par exemple, de retrouver des images avant le passage des ciseaux d’Anastasie, version électronique.
Ce que l’on pourrait prendre pour de simples tartufferies visuelles alimente en fait un buzz presque parallèle à celui que l’on serait naturellement amené à identifier en observant seulement les images diffusées sur les sites occidentaux. Les articles et commentaires qui accompagnent cette propagation d’images édulcorées, qui demeurent par la force des moteurs de recherche en liaison étroite avec leurs équivalents explicites, mériteraient d’être examinés avec un peu d’attention.